société italienne d’endocrino-pédiatrie

La société italienne d’endocrino-pédiatrie confirme l’efficacité des bloqueurs de puberté dans l’amélioration de la santé mentale des adolescent·es trans

Une revue de littérature scientifique vient d’être publiée par Tornese et ses collègues dans la revue Frontiers in Endocrinology, à la suite d’une demande de la Société italienne d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SIEDP). Les conclusions de cette revue, favorables à la prescription de bloqueurs de puberté chez les adolescent·es trans, viennent renforcer les recommandations officielles de l’association mondiale des professionnels de la santé trans (WPATH, citées ici sur Trajectoires Jeunes Trans), celles des sociétés savantes d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse (AWMF, citées ici sur Trajectoires Jeunes Trans), celles de la Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique (SFEDP, citées ici sur Trajectoires Jeunes Trans) ou de la Société Européenne d’Endocrinologie Pédiatrique (ESPE, citées ici par Trajectoires Jeunes Trans), parmi d’autres.

Cette revue de littérature italienne s’inscrit dans un contexte où la prise en charge médicale des jeunes trans et de la diversité de genre a radicalement évolué au cours de la dernière décennie. Jusqu’à récemment, les agonistes de la gonadotrophinereleasing hormone (GnRHa) – aussi appelés bloqueurs de puberté – étaient prescrits avec l’appui des constats cliniques de leur efficacité, mais en l’absence d’essais cliniques randomisés, ou de méta-analyses, ils faisaient l’objet de débats quant à leur impact à long terme sur la santé physique et psychologique des adolescent·es. Les travaux de Chew et collègues (2018) avaient déjà évoqué une efficacité manifeste sur la suppression pubertaire, mais pointaient l’absence de données solides sur les conséquences psychiques et cognitives. Une revue ultérieure par Ludvigsson et collègues (2023) confirmait ce manque d’études longitudinales robustes. Enfin, la récente revue de littérature de Taylor et collègues (2024), commandée par la pédiatre britannique Hilary Cass, concluait que le manque d’études de qualité suffisante empêchait de conclure quoi que ce soit sur l’efficacité des bloqueurs de puberté sur la santé mentale des adolescent·es trans.

Une démarche méthodologique robuste

Face à ces lacunes, Tornese et ses collaborateur·ices ont entrepris de faire le point sur l’ensemble des données publiées entre février 2011 et février 2024, cherchant à déterminer, selon la méthodologie éprouvée GRADE, utilisée notamment par l’OMS, non seulement les bénéfices avérés mais aussi les risques potentiels de cette intervention.

Le corpus retenu dans cette revue systématique comprend cinquante et une études de divers niveaux de preuve, essentiellement observationnelles, prospectives ou rétrospectives, totalisant un effectif de traitement allant de quelques dizaines à plusieurs centaines d’adolescent·es. Aucun essai randomisé contrôlé n’a été identifié, soulignant les difficultés éthiques et méthodologiques à conduire ce type d’intervention. Les critères d’inclusion – âge inférieur à 18 ans, stades pubertaires avancés, diagnostic de dysphorie ou incongruence de genre – reflètent les recommandations des sociétés savantes en endocrinologie pédiatrique. Les auteurs ont déployé une stratégie rigoureuse, combinant recherche par mots-clés dans PubMed, EMBASE et la Cochrane Library, et examen manuel des références, afin de maximiser l’exhaustivité de la littérature.

L’efficacité des bloqueurs de puberté à améliorer la santé mentale

Sur le plan physiologique, la synthèse des études de qualité modérée ou élevée montre de façon convergente que les GnRHa interrompent efficacement la progression des caractères sexuels secondaires. La freination pubertaire, mesurée par la faiblesse des niveaux de gonadotrophines et de stéroïdes sexuels, se traduit cliniquement par l’interruption du développement mammaire chez les personnes assignées femme à la naissance (AFAB) et par la stabilisation du volume testiculaire chez les personnes assignées homme à la naissance (AMAB). Chez les personnes AFAB, cette intervention précoce réduit considérablement la nécessité d’une torsoplastie ultérieure (chirurgie de résection mammaire), en limitant le développement du tissu mammaire pendant la puberté. Chez les personnes AMAB, la réduction du volume pénien et testiculaire induite par le traitement peut rendre techniquement difficile la réalisation d’une vaginoplastie par inversion pénienne (chez l’adulte qui aura suivi un traitement estrogénique), rendant parfois nécessaire le recours à des techniques alternatives de reconstruction vaginale.

Ces constats étaient d’ailleurs anticipés par des revues antérieures, mais Tornese et collègues fournissent en outre ici un bilan actualisé et plus nuancé des variations de taille et de vitesse de croissance, pointant notamment une décélération plus marquée de la croissance staturale chez les jeunes qui commencent le traitement plus tardivement dans leur puberté.

Les interrogations portant sur la santé osseuse constituent un point saillant de la revue, rappelant les mises en garde émises dans les études sur la puberté précoce centrale et la densité minérale osseuse (BMD). Quatre études de qualité modérée à élevée référencent une baisse des scores Z de densité osseuse au niveau lombaire et fémoral pendant la suppression, suivie d’une remontée partielle sous l’hormonothérapie qui s’est ensuivie. Ces constats confortent les recommandations de surveillance radiologique et biochimique régulières des marqueurs de remodelage osseux.

Sur le plan psychologique, l’article met en lumière une littérature grandissante qui attribue aux bloqueurs de puberté un rôle crucial dans la réduction de la détresse mentale. Plusieurs études prospectives montrent une diminution significative des symptômes dépressifs et anxieux, et une amélioration du fonctionnement global, effets renforcés lorsque le freinage pubertaire s’ensuit d’une hormonothérapie d’affirmation de genre. Ces résultats corroborent les conclusions tirées par De Vries et collègues (2011, 2014) et valent notamment pour les adolescentes assignées homme à la naissance, qui présentent souvent un taux plus élevé d’anxiété avant traitement.

Le point le plus marquant reste sans doute l’impact sur la suicidabilité : Tornese et collègues rapportent que l’incidence des pensées et comportements suicidaires diminue de plus de 70 % chez les jeunes ayant recours aux GnRHa ou aux traitements hormonaux d’affirmation de genre, une tendance qui rejoint les observations de Van der Miesen et collègues (2020) sur l’effet des GnRHa seuls, et qui est d’autant plus saisissante qu’elle témoigne de la dimension vitale de ces soins. Cette réduction spectaculaire du risque suicidaire souligne l’enjeu éthique majeur de garantir l’accès à une suppression pubertaire précoce et encadrée.

En revanche, la revue met en évidence le manque d’études de qualité « modérée à haute » concernant la fertilité future, la fonction sexuelle à l’âge adulte et le risque de cancer : ce manque empêche de formuler des conclusions robustes sur ces questions, et les auteurs appellent à la constitution de cohortes prolongées et des registres nationaux pour dissiper ces incertitudes. Cette absence de données longitudinales pérennise un débat récurrent, notamment dans les comités d’éthique, sur la balance risques-bénéfices des GnRHa à long terme lorsqu’ils sont suivis par des traitements hormonaux d’affirmation de genre.

Au final, Tornese et collègues plaident pour une démarche de médecine de précision, intégrant un suivi personnalisé de la densité osseuse, un conseil en fertilité dès l’entrée en traitement, et un soutien psychologique continu. Ils insistent également sur la coproduction de recherches à long terme, impliquant fortement les jeunes trans et leurs familles, afin de répondre aux questions de recherche non résolues. Dans le grand nombre d’articles consacrés à l’affirmation de genre en endocrinologie pédiatrique, cette revue systématique se distingue par sa rigueur méthodologique et son ambition à combler l’écart entre évidence modérée et pratique clinique.

Des divergences fondamentales avec le rapport Cass

Une comparaison critique s’impose avec la revue systématique de Taylor et al. (2024), commandée dans le cadre du rapport Cass au Royaume-Uni. Cette revue avait en effet adopté une approche d’évaluation de la qualité des études qui a suscité de nombreuses interrogations. En effet, Taylor et ses collègues ont utilisé une version modifiée de l’outil Newcastle-Ottawa Scale (NOS), en infraction du protocole de recherche préétabli, et dont l’adaptation n’a pas été validée scientifiquement, ce qui a été critiqué récemment par Noone et collègues (cf. le résumé de leur étude critique sur Trajectoires Jeunes Trans). En conséquence, plusieurs études-clés, comme celles d’Achille et collègues (2020) et de Tordoff et collègues (2022), pourtant publiées dans des revues à comité de lecture et fréquemment citées, ont été classées comme de « faible qualité » et exclues de la synthèse des résultats de Taylor et collègues. Cette décision a eu des effets considérables sur leurs conclusions, les empêchant de reconnaître formellement une amélioration de la santé mentale ou de la qualité de vie chez les adolescent·es trans traité·es par bloqueurs de puberté. À l’inverse, la revue italienne menée par Tornese et collègues utilise l’outil ROBINS-I, recommandé par le groupe GRADE pour l’évaluation de qualité des études non randomisées, et juge ces deux mêmes études comme étant de qualité suffisamment haute pour être incluses à la synthèse narrative. En intégrant ces travaux dans leur analyse, les auteur·ices italien·nes parviennent à des conclusions nettement plus affirmatives quant aux bénéfices du traitement, notamment en matière de réduction de la dépression, de l’anxiété, des idées suicidaires et des comportements d’automutilation. Cette divergence méthodologique a donc un impact direct sur les recommandations de politique de santé. Là où Taylor et collègues concluent à une insuffisance de preuves pour justifier l’usage des GnRHa, Tornese et collègues estiment au contraire que le corpus actuel d’études est suffisant pour soutenir leur efficacité sur la santé mentale des adolescent·es trans.

Cette opposition illustre combien les choix techniques dans l’évaluation des études influencent les conclusions scientifiques et, en cascade, les orientations cliniques et réglementaires. En effet, à la suite du rapport Cass, le Royaume-Uni a limité aux essais cliniques la prescription de bloqueurs de puberté chez les adolescent·es trans, tout en continuant à autoriser leur libre prescription aux enfants cisgenres dans le cadre de la puberté précoce. Le rapport du HHS, commandé par le gouvernement Trump aux États-Unis, s’appuie également lourdement sur le rapport Cass pour justifier l’incitation à l’arrêt de prescription des bloqueurs de puberté chez les jeunes trans spécifiquement. Dans un climat où les décisions médicales sont hautement politisées, cette revue italienne apporte une contribution précieuse en réaffirmant que les données les plus récentes et rigoureusement analysées plaident en faveur d’une utilisation prudente mais justifiée des bloqueurs de puberté chez les jeunes trans.

Plus largement, cette divergence met en lumière une tension épistémologique récurrente en médecine pédiatrique : nombre de décisions cliniques s’appuient sur des niveaux de preuve en deçà des essais contrôlés randomisés, souvent irréalistes ou non éthiques dans certaines populations. L’histoire même de l’utilisation des GnRHa dans le traitement de la puberté précoce centrale chez les jeunes cisgenres illustre cette réalité : approuvés dès 1981, ces traitements reposaient sur des études ouvertes à court terme et sur de petits effectifs, avec un corpus de littérature dominé par des séries de cas non comparatives. Réclamer aujourd’hui des essais randomisés contrôlés dans la population trans alors qu’ils sont inenvisageables dans celle des enfants atteints de puberté précoce reviendrait à imposer une exigence asymétrique.

Une revue récente révèle d’ailleurs qu’au sein des Cochrane Reports, plus de 90 % des interventions médicales reposent sur des preuves de qualité inférieure à « élevée ». Dans ce contexte, priver les adolescent·es trans d’un traitement dont les bénéfices sont maintenant bien documentés, sous prétexte d’un manque de données issues d’essais randomisés, poserait un sérieux problème éthique. Tornese et collègues défendent donc une position nuancée et pragmatique : faire progresser la recherche, certes, mais ne pas suspendre l’accès aux soins pendant que cette recherche se construit.

Pour accéder à l’étude italienne (en anglais), cliquez ici

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