Quelques jours après la parution des premières recommandations professionnelles françaises sur les soins hormonaux d’affirmation de genre chez les adolescent·es trans, la société européenne d’endocrinologie pédiatrique (ESPE) publie les premières recommandations professionnelles européennes sur ce sujet issues d’un groupe d’expert·es, dont la Professeure Laetitia Martinerie, membre de TJT.
Le texte recommande que l’initiation du processus diagnostique ou d’évaluation se fasse par un·e professionnel·le de santé mentale, inséré·e dans une équipe pluridisciplinaire. Le recours à un·e professionnel·le de santé mentale est justifié en raison notamment de la nécessité de se constituer une perspective sur le développement psychosocial, cognitif et émotionnel, tout en étant en mesure de détecter et aborder les besoins en santé mentale fréquemment co-occurrents (anxiété, dépression, auto-agression, suicidalité, autisme, etc.).
Pour autant, le diagnostic d’incongruence de genre n’implique pas que des soins hormonaux d’affirmation de genre soient appropriés, ou même souhaités par le/la jeune et ses parents. Néanmoins quand ils le sont, l’équipe pluridisiciplinaire doit aprouver ces soins ; l’équipe doit être composée au moins d’un·e psychologue spécialisé·e, d’un·e pédopsychiatre, et d’un·e endocrinopédiatre. Il est par ailleurs hautement recommandé d’étendre les discussions avec toutes les parties prenantes potentielles : chirurgien·nes, spécialistes de la fertilité, représentant·es d’usager·ères, etc. Le suivi et des bilans se feront tous les 3 à 6 mois, la satisfaction du/de la jeune pour ses soins sera notamment évaluée à ces occasions, de même que sa capacité à comprendre les indications, contre-indications, conséquences de long terme d’un éventuel changement de traitement. L’orientation vers des groupes de soutien organisés par des associations de personnes concernées (personnes trans et/ou parents d’enfants trans) est recommandée.
Les soins hormonaux visent à améliorer la qualité de vie à court et long terme. Ils doivent être mis en balance avec les inconvénients propres à un traitement qui, pour certaines personnes, peut être à vie. Par conséquent, pour les expert·es, il est important de pouvoir envisager des formes alternatives d’accompagnement, notamment psychologiques, sans pour autant qu’elles visent à altérer l’identité de genre de la personne. Le soutien psychosocial, de manière général, devrait pouvoir être envisagé pendant tout le temps du traitement hormonal ainsi que chez les jeunes exprimant des doutes ou des souhaits d’arrêt de traitement ou de transition.
Les expert·es constatent un faible recours à la préservation de fertilité chez les jeunes, en dépit de désirs parentaux pourtant présents. Les bloqueurs de puberté n’ont pas d’effet négatif sur la fertilité future, mais comme les adolescent·es qui en prennent continueront pour beaucoup par prendre des hormones sexuelles d’affirmation de genre et que celles-ci – particulièrement les estrogènes – peuvent altérer la fertilité future, il est recommandé de discuter des options de préservation de fertilité avant même l’instauration de bloqueurs de puberté, et tout au long du suivi.
S’agissant des bloqueurs de puberté, ces médicaments permettent de suspendre temporairement la puberté, offrant aux adolescent·es un répit pour explorer leur identité de genre avant d’envisager des interventions potentiellement irréversibles. Plusieurs études, bien que pas toutes, ont décrit un effet positif sur l’état psychologique, ainsi que la qualité de vie. La grande majorité des personnes utilisant ces médicaments commenceront par la suite un traitement hormonal d’affirmation de genre qu’elles poursuivront à l’âge adulte, ce qui suggère une grande satisfaction vis-à-vis du traitement et des taux très faibles de regret ou de dé-transition. Bien qu’ils soient condidérés comme entièrement réversibles, les bloqueurs de puberté n’ont pas été étudiés encore suffisamment sur le long terme, justifiant pour les expert·es de limiter leur prescription dans des centres de référence, après une évaluation psychologique en profondeur, et sous réserve des critères suivants :
- La présence de dysphorie/incongruence de genre a été confirmée par un·e professionnel·le de santé mentale expérimenté·e
- Preuve clinique de la puberté, au moins stade de Tanner G2 (volume testiculaire > 4 ml) ou B2
- Absence de contre-indications médicales, psychiatriques ou psychosociales, c’est-à-dire que les problèmes concomitants qui pourraient interférer avec le traitement ou s’aggraver à cause du traitement ont été pris en charge de sorte que la situation et le fonctionnement de l’adolescent·e soient suffisamment stables pour débuter le traitement
- L’adolescent·e trans et les parents/tuteur·ices comprennent les conséquences du traitement et ont donné leur consentement éclairé conformément à la législation régionale/nationale
- Une information sur la fertilité a été fournie
- Soutien des parents/tuteur·ices
- Soutien continu pendant le traitement par un·e professionnel·le de santé mentale expérimenté·e et un·e endocrinologue pédiatrique
En ce qui concerne les hormones sexuelles d’affirmation de genre (testostérone ou estradiol), elles visent l’alignement des caractéristiques sexuelles secondaires avec l’identité de genre, la réduction de la dysphorie de genre et l’amélioration du bien-être. Bien que l’amélioration de la santé mentale en lien avec ces soins soit documentée, les expert·es notent que certain·es jeunes trans continuent de subir des problèmes de santé mentale sérieux, justifiant un soutien continu de l’équipe pluridisciplinaire incluant un·e professionnel·le de santé mentale.
Considérations éthiques
Les expert·es discutent des problèmes éthiques auxquels ils font régulièrement face. Il existe un débat sur le moment approprié pour débuter les traitements hormonaux. Les lignes directrices récentes recommandent de commencer les bloqueurs de puberté au stade Tanner B2/G2 et le traitement hormonal d’affirmation de genre vers 16 ans, bien que les normes de la WPATH ne fixent pas de limite d’âge. Certain·es prônent un abaissement ou un relèvement de cet âge. Deux concepts éthiques sont en jeu : l’intérêt supérieur de l’enfant et son autonomie à décider des traitements médicaux. Le « droit à un avenir ouvert » suggère qu’il serait préférable de reporter les décisions médicales jusqu’à ce que l’enfant devienne adulte. Cependant, cela peut aussi signifier éviter le développement des caractéristiques sexuelles indésirables pour rendre les futurs traitements moins invasifs. Les paradigmes traditionnels, tels que « s’abstenir en cas de doute » et « ne pas nuire » doivent être repensés dans un contexte actuel : ne pas traiter peut ne pas être neutre et pourrait aggraver la détresse et les problèmes de santé mentale liés à l’incongruence de genre.
À l’approche de l’âge adulte, l’implication des adolescent·es dans la prise de décisions médicales augmente, remplaçant la norme de « l’intérêt supérieur » par leurs propres valeurs et préférences. Selon les directives internationales sur les soins aux adolescent·es trans, une condition importante pour commencer un traitement est la capacité à donner un consentement éclairé. Cependant, la compétence décisionnelle des adolescent·es reste un point de désaccord, car les traitements ont des conséquences à long terme. Une étude récente utilisant l’outil MacCAT-T a montré que la majorité des adolescent·es sont compétent·es pour décider de la suppression de la puberté. De plus, les risques et les avantages à long terme des traitements disponibles ne sont pas encore totalement établis, rendant le consentement éclairé complexe, comme pour tout traitement relativement nouveau. Il est pour cette raison essentiel, pour les expert·es, que les équipes de soins participent à des registres et recherches interdisciplinaires et internationaux.
L’un des effets à long terme les plus significatifs de la transition est la perte potentielle de fertilité. La collecte et la conservation des spermatozoïdes et des ovocytes peuvent être proposées aux jeunes post-pubères, mais elles présentent des obstacles importants, notamment des procédures invasives. À l’avenir, il pourrait être possible de différencier le tissu gonadique prépubère en culture pour obtenir des spermatozoïdes ou ovocytes matures, ou d’utiliser des technologies de reproduction assistée comme la gamétogenèse in vitro pour permettre aux personnes trans de concevoir des enfants. Cependant, les expériences actuelles des personnes trans avec les services de procréation médicalement assistée sont souvent négatives. Un débat éthique et juridique demeure donc nécessaire pour aborder les questions d’égalité, de non-discrimination et du droit à procréer.
En conclusion, les expert·es insistent sur l’approche multidisciplinaire des soins hormonaux pour adolescent·es, sur le rôle du/de la professionnel·le de santé mentale sur l’évaluation initiale, et l’attention qui doit être donnée de façon continue à l’information sur les effets, les possibles effets secondaires. Quant à l’incertitude entourant encore les résultats à long terme, elle justifie qu’une collecte de données cliniques soit mise en œuvre en parallèle des soins le plus systématiquement possible afin de faire avancer la recherche et améliorer les soins.
Pour lire les recommandations, en anglais, cliquez ici.
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