Un rapport du Ministère de la santé des États-Unis (HHS), publié le 1ᵉʳ mai 2025, se présente comme une revue scientifique sur « l’efficacité et la sécurité » des soins d’affirmation de genre chez les mineur·es trans. Commandé par la Maison-Blanche dans le cadre du décret présidentiel n°14187, il prétend fournir une base de preuves pour orienter les politiques de santé publique. En réalité, comme le montrent deux analyses indépendantes publiées récemment (Rider et collègues, 2025 ; Dowshen et collègues, 2025), il s’agit moins d’un exercice scientifique que d’un document politique cherchant à délégitimer une pratique médicale établie.
Un mandat politique, non scientifique
Le rapport s’inscrit dans le cadre du décret présidentiel n°14187, signé le 28 janvier 2025 par Donald J. Trump et intitulé « Protéger les enfants contre la mutilation chimique et chirurgicale ». Ce texte, consultable sur le site officiel de la Maison-Blanche, affirme :
« Partout dans le pays aujourd’hui, des professionnels de santé mutilent et stérilisent un nombre croissant d’enfants influençables sous le prétexte radical et mensonger selon lequel des adultes pourraient changer le sexe d’un enfant au moyen d’une série d’interventions médicales irréversibles. »
Le décret ajoute qu’« il est de la politique des États-Unis de ne pas financer, parrainer, promouvoir, aider ni soutenir la prétendue “transition” d’un enfant d’un sexe vers un autre. » Il ordonne ainsi au HHS : « Le ministre du HHS doit, en conformité avec la loi, prendre toute mesure appropriée pour arrêter les mutilations chimiques et chirurgicales des enfants. »
Ces passages montrent que la mission confiée au HHS ne visait pas une évaluation neutre de la littérature scientifique, mais la construction d’un argumentaire justifiant le retrait du financement fédéral des soins d’affirmation de genre pour les moins de 19 ans (tous considérés comme des « enfants »). Le décret emploie d’ailleurs des termes moralement chargés (« mutilation », « stérilisation », « affirmation fausse ») plutôt qu’issus de la littérature scientifique, ce qui place la discussion sur le terrain idéologique plutôt que médical.
Une instrumentalisation budgétaire
Depuis septembre 2025, cette orientation s’est prolongée dans les négociations budgétaires autour du House HHS Appropriations Bill. Comme l’a révélé la journaliste Erin Reed, le projet de loi Républicain de financement du Ministère de la santé contient une clause interdisant tout financement fédéral pour « toute intervention sociale, psychologique, comportementale ou médicale visant à traiter la dysphorie de genre. »
Cette clause – qualifiée de poison pill (ou « clause piégée ») – vise à rendre le projet de budget inacceptable pour les démocrates, au point de précipiter un shutdown (paralysie budgétaire), en liant le maintien du financement des programmes de santé à l’interdiction des soins d’affirmation de genre.
Un communiqué officiel publié sur le site de la Maison-Blanche illustre ce cadrage rhétorique, accusant les élus démocrates d’être « le parti des frontières ouvertes, du crime violent et du transgenre pour tout le monde. » Cette combinaison de menaces budgétaires et de langage stigmatisant inscrit la question trans dans un rapport de force financier et moral, où l’accès aux soins devient une variable de négociation politique.
Les critiques de Rider et collègues (2025) : déficit méthodologique et biais politique
Rider et ses coauteurs estiment que le rapport HHS « n’a pas été évalué par des pairs, et ses auteurs n’ont pas été identifiés. » Ces manquements contredisent les standards minimaux d’une revue systématique. Les auteur·ices soulignent aussi que : « la plupart des soins pédiatriques reposent sur des preuves de qualité et de solidité comparables à celles qui soutiennent les soins médicaux d’affirmation de genre. » L’exigence du HHS pour des essais randomisés contrôlés est, de manière générale, méthodologiquement irréaliste en pédiatrie. Ce double standard traduit donc une volonté de discréditer sélectivement la littérature favorable aux soins d’affirmation de genre, pour poursuivre la politique déclenchée par le décret présidentiel n°14187.
Les critiques de Dowshen et collègues (2025) : absence de rigueur et erreurs d’interprétation
Dowshen et ses collègues relèvent que « plus de 20 % des références du rapport du HHS proviennent d’articles de presse généraliste, de blogs ou de publications sur les réseaux sociaux » et concluent que « de telles citations sont très en deçà du niveau minimal de crédibilité des preuves généralement attendu d’une revue scientifique. » Les auteur·ices soulignent plusieurs détournements interprétatifs : le rapport met en avant « two deaths by suicide » (deux décès par suicide) dans une cohorte de 315 jeunes trans traités, tout en omettant de mentionner que la même étude documente une amélioration significative de la dépression, de l’anxiété et du bien-être global après deux ans d’hormonothérapie. Ils ajoutent que le HHS « énumère des risques hypothétiques sans en apporter la moindre preuve », alors que « les traitements d’affirmation de genre sont utilisés de manière sûre et efficace depuis plusieurs décennies pour traiter les jeunes cisgenres ayant une puberté précoce. »
Un usage biaisé de la “qualité des preuves”
Les deux commentaires convergent sur un point central : le HHS a détourné la notion de qualité de la preuve pour légitimer un rejet idéologique. Dowshen et collègues notent que « le rapport du HHS utilise le concept technique de “qualité des preuves” pour justifier le rejet des soins d’affirmation de genre, [tout en] admettant qu’aucune donnée ne soutient l’alternative qu’il préconise – la psychothérapie seule. »
Sécurité, bénéfices et éthique clinique
Les deux articles contestent la présentation alarmiste des risques : le rapport HHS « n’apporte aucune preuve que les médicaments bloquant la puberté et l’hormonothérapie soient nuisibles. » Ils rappellent au contraire que ces traitements sont utilisés depuis des décennies avec des taux d’effets indésirables faibles et une efficacité clinique reconnue. Rider et collègues mentionnent également que les études longitudinales montrent une réduction des symptômes dépressifs et suicidaires, ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie, éléments absents du rapport. Sur le plan éthique, les deux équipes invoquent le principe de non-malfaisance : refuser ou interrompre des traitements pourtant validés expose les jeunes concernés à un risque accru de détresse et de suicide.
Un instrument politique sous couvert de science
En conclusion, Dowshen et collègues dénoncent « une dangereuse intrusion du politique dans la médecine. » Le rapport du HHS, s’inscrit dans la continuité pratique de son ministre – Robert F. Kennedy Jr. – qui a déclaré vouloir « créer la preuve » (« make the proof ») pour justifier a posteriori une décision politique. Écrit en 90 jours, ce rapport anonyme contient des conclusions qui semblent écrites à l’avance. Ces apports indiquent que le rapport HHS n’est ni une revue neutre ni une contribution méthodologique à la recherche sur les soins d’affirmation de genre. Il s’apparente davantage à un outil de légitimation d’une politique d’exclusion, élaboré dans un climat de tension budgétaire et idéologique. Son contenu – largement discrédité par la communauté scientifique – participe d’une stratégie visant à désancrer la médecine trans-affirmative du champ de la science clinique pour la reléguer dans celui du débat moral et partisan. Pour les chercheur·ses et clinicien·nes, ce cas doit représenter une alerte majeure : il montre comment des institutions gouvernementales peuvent instrumenter la rhétorique de la rigueur scientifique pour justifier des reculs normatifs. Pour les jeunes trans et leurs familles, il signifie concrètement un risque accru de privation de soins et de stigmatisation institutionnelle.
Et pour la communauté scientifique, nous pouvons nous poser une question fondamentale : jusqu’où peut-on laisser la science devenir l’alibi d’un pouvoir politique qui se sert d’elle pour restreindre les droits humains plutôt que pour améliorer la santé publique ?
Note : toutes les traductions de citations versées ici sont réalisées par Trajectoires Jeunes Trans.
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