Kallitsounaki

Une étude démonte les préjugés sur « l’authenticité » des identités trans chez les jeunes autistes

Une étude publiée ce 23 octobre 2025 par Aimilia Kallitsounaki et ses collègues dans la revue European Child & Adolescent Psychiatry explore la nature de l’identité de genre chez les jeunes autistes et non autistes suivis dans des cliniques spécialisées, ainsi que chez leurs parents. Son point de départ est une controverse récurrente : certains cliniciens supposent que la diversité de genre observée plus fréquemment chez les jeunes autistes que dans la population générale découlerait directement des particularités cognitives associées à l’autisme (un intérêt obsessif et stéréotypé pour le genre), et non d’une expérience de genre authentique potentiellement facilitée par une moindre influence aux normes sociales. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont combiné deux types de mesures : une évaluation explicite du sentiment d’appartenance à un genre et une mesure implicite, l’Implicit Association Test (IAT), permettant de sonder les associations automatiques entre le concept de soi et les catégories de genre.

Le premier volet de l’étude a impliqué 209 jeunes âgés de 7 à 16 ans répartis en quatre groupes : autistes ou non, et soit adressés à une clinique de genre (donc exprimant une identité non conforme au sexe assigné à la naissance), soit cisgenres. Tous disposaient d’un bon niveau de langue et vivaient au Royaume-Uni. Les jeunes autistes avaient reçu un diagnostic formel, confirmé par des outils standardisés comme l’ADI-R et le BOSA (ce dernier est adapté de l’outil ADOS-2 pour une administration numérique / en ligne). L’objectif était d’évaluer si les profils implicites et explicites d’identité de genre différaient selon la présence ou non d’autisme, et si les enfants cisgenres autistes se distinguaient de leurs pairs non autistes par une moindre identification à leur sexe assigné.

Les analyses statistiques ont montré que, sur le plan implicite, les jeunes adressés en clinique de genre – qu’ils soient autistes ou non – associaient plus rapidement le concept de « moi » au genre opposé à celui qui leur avait été assigné à la naissance. Ce résultat indiquait une identification automatique à leur genre ressenti, non à leur sexe d’assignation. À l’inverse, les jeunes cisgenres manifestaient une association implicite forte avec leur sexe assigné. Les performances étaient comparables entre enfants autistes et non autistes : l’autisme n’affaiblissait ni ne modifiait la cohérence entre genre vécu et identité implicite.

Les mesures explicites, fondées sur une échelle d’auto-évaluation du sentiment d’être « un garçon » ou « une fille », ont conduit aux mêmes conclusions. Les jeunes trans ou en questionnement s’identifiaient à leur genre ressenti avec une intensité équivalente à celle avec laquelle les enfants cisgenres s’identifiaient à leur sexe assigné. Aucune différence liée au diagnostic d’autisme n’a été détectée, ce qui contredit l’idée d’une identité de genre plus floue ou plus instable chez les jeunes autistes. En somme, dans cette population, l’autisme n’altérait ni la clarté ni la solidité de l’identité de genre.

Le second volet a élargi la perspective aux 217 parents ou tuteurs des enfants participants. Les chercheurs ont examiné si le degré d’identification au genre assigné variait en fonction de la situation de l’enfant. Les parents ont eux aussi passé une version de l’IAT et rempli un questionnaire explicite sur leur identification au groupe de genre correspondant à leur sexe de naissance. Les résultats ont révélé que les parents d’enfants adressés en clinique de genre, qu’ils soient autistes ou non, exprimaient une identification explicite légèrement plus faible à leur propre genre que les parents d’enfants cisgenres. En revanche, leurs résultats implicites ne différaient pas, suggérant une stabilité automatique de l’identité de genre mais un positionnement conscient plus souple.

Cette convergence entre résultats parentaux et ceux des jeunes a conduit les auteurs à proposer l’idée d’une agrégation familiale de la diversité de genre, sans distinction selon la présence d’autisme. Autrement dit, certaines familles – d’enfants autistes ou non – pourraient partager une plus grande ouverture ou variabilité dans la manière de concevoir le genre, que celle-ci ait une base génétique, cognitive ou culturelle.

Ces observations invalident l’hypothèse selon laquelle la diversité de genre chez les personnes autistes serait une simple manifestation d’intérêts restreints. Au contraire, les jeunes autistes présentaient des profils d’identité de genre indissociables de ceux de leurs pairs non autistes, tant sur le plan automatique que déclaratif. Les chercheurs soulignent que ces données devraient apaiser les doutes cliniques quant à « l’authenticité » des vécus de genre exprimés par les enfants autistes. Elles invitent aussi à repenser les parcours de soins, trop souvent marqués par une suspicion ou un ralentissement des démarches lorsqu’un diagnostic d’autisme est présent.

Les auteurs notent néanmoins plusieurs limites : la majorité des participants étaient anglophones et issus du Royaume-Uni, ce qui restreint la généralisation interculturelle. Les enfants présentant une déficience intellectuelle n’ont pas été inclus, ce qui laisse ouverte la question de la diversité de genre dans cette sous-population. Enfin, la tâche implicite utilisée reposait sur des catégories binaires, ce qui la rend moins adaptée à l’exploration des identités non-binaires.

Sur le plan théorique, ce travail s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des approches pathologisantes du genre en contexte autistique. Ses résultats rejoignent ceux d’une étude similaire réalisée chez les adultes, par la même équipe de recherche (Kallitsounaki et Williams, 2022). En adoptant un protocole expérimental rigoureux et une double approche implicite-explicite, l’équipe de Kallitsounaki apporte une preuve empirique solide à cette dépathologisation du vécu trans et non conforme chez les jeunes autistes.

Les implications pratiques de ces résultats sont majeures : ils plaident pour une évaluation clinique fondée sur la reconnaissance et le respect des identités exprimées, sans présupposer qu’un diagnostic d’autisme en altère la validité. Les professionnels sont appelés à abandonner les modèles explicatifs qui assimilent sans preuve la diversité de genre à une conséquence du trouble neurodéveloppemental, et à promouvoir au contraire des parcours de soutien équitables et inclusifs. En éclairant la continuité des mécanismes identitaires entre jeunes autistes et non autistes, cette étude marque une étape décisive vers une compréhension intégrée et non stigmatisante des liens entre autisme et genre.

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