Un narratif médiatique circule depuis quelques années sur une « restriction », voire une « interdiction », qui serait de plus en plus commune en Europe concernant les soins d’affirmation de genre pour les mineur·es trans (comme par exemple, dans cet article récent d’Euronews). Les principaux pays d’Europe menant ces restrictions seraient le Royaume-Uni, les pays nordiques, et la France. Or, ni la France, ni aucun des pays nordiques (Danemark, Islande, Finlande, Norvège, Suède) n’ont, à l’inverse de l’Angleterre, interdit en fait ou en droit, les soins trans-spécifiques aux mineur·es.
Les rares textes qui sont mobilisés pour donner à penser une restriction de ces soins en France sont un communiqué de presse appelant à la prudence de l’Académie Nationale de Médecine de 2022, et une proposition de loi de 2024 (non promulgée donc sans effet) visant à prohiber notamment la prescription d’hormones chez les adolescent·es trans. Il convient ici de rappeler que le cadre légal en France qui s’applique est celui du droit commun, donc de la liberté de prescription, limitée par « les données acquises de la science » (article R4127-8 du Code de Santé Publique). Or, le consensus scientifique le plus récent, celui publié en 2025 par les sociétés savantes de l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse (discuté ici sur Trajectoires Jeunes Trans), justifie que les soins d’affirmation de genre peuvent être prescrits aux adolescent·es trans qui en expriment le besoin. Quant à la reconnaissance légale du genre à l’état civil français, celle-ci n’est possible qu’à la majorité, et depuis 2016 sans obligation de stérilisation préalable (loi de modernisation de la justice du XXIe siècle).
Ce cas français illustre la nécessité d’une vigilance vis-à-vis des discours qui circulent sur ce sujet dans les médias. S’agissant des pays nordiques, une récente revue narrative publiée dans le Scandinavian Journal of Surgery, écrite par des médecins spécialisé·es du Danemark, de l’Islande, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, propose d’étudier l’accès aux soins et aux droits des personnes trans, notamment des personnes mineures.
Isak Gran et ses collègues, auteur·ices de cet article, rappellent d’abord que, dans tous les pays nordiques, les soins d’affirmation de genre sont « financés par des fonds publics, couvrant l’ensemble du processus, du diagnostic aux traitements psychiatriques, médicaux et chirurgicaux », mais que « les structures de service diffèrent » selon les pays. La situation des mineur·es fait l’objet d’approches divergentes, oscillant entre prudence médicale accrue mais aussi reconnaissance croissante de leur autonomie légale.
En premier lieu, les auteur·ices ne parlent jamais d’interdiction. En Finlande, par exemple, pays nordique le plus restrictif, les mineur·es peuvent recevoir un traitement médical après une évaluation approfondie : « Les bloqueurs de puberté et les hormones d’affirmation de genre peuvent être initiés seulement après une évaluation complète et psychiatrique, généralement à partir de la puberté précoce pour les bloqueurs et à partir de 16 ans pour les hormones ». Les auteur·ices notent que « l’utilisation de ces traitements reste très limitée » – mais elle n’est ni illégale ni interdite. Par ailleurs, même si la réforme de 2023 a permis aux adultes de changer leur mention de sexe à l’état civil « par autodéclaration, sans intervention médicale ni stérilisation », cette autodétermination n’a pas encore été étendue aux mineur·es.
En Suède, autre exemple de pays restrictif, il est précisé que « selon les dernières lignes directrices [de décembre 2022], l’utilisation des bloqueurs de puberté […] ainsi que des hormones d’affirmation de genre est limitée aux individus inclus dans un essai clinique, ou dans des cas exceptionnels, » – dans ces derniers cas, ces traitements « peuvent être proposés lorsque l’incongruence de genre est durable et qu’une situation psychosociale stable est démontrée ». Il s’agit donc d’une limitation encadrée, non d’une suppression de l’accès. Pourtant, parallèlement, la Suède, suit depuis juillet 2025 une levée des contraintes légales sur les personnes mineures : « les personnes âgées de 16 ans et plus pourront changer leur genre légal sans diagnostic formel de dysphorie de genre ni traitement médical ou psychiatrique », bien que l’autorisation parentale et une attestation d’un·e professionnel·le de santé demeurent nécessaires jusqu’à 18 ans. Il s’agit là d’une avancée significative dans la reconnaissance d’un droit à l’autodétermination des mineur·es, qui contraste avec la reconnaissance limitée de leur autonomie décisionnelle en matière médicale.
La Norvège présente une tension similaire : la loi d’amendement du genre légal de 2016 a instauré la possibilité, « pour toute personne de 16 ans ou plus, de changer son genre légal par une simple procédure administrative sans intervention médicale ». Ce droit est ouvert également pour les mineur·es de 6 à 15 ans, cette fois sous la seule condition d’autorisation parentale (et sans nécessité d’attestation psychiatrique). Toutefois, si cette autodétermination de genre des mineur·es existe sur le plan légal (un droit non reconnu en France), sur le plan médical, les autorités ont adopté une approche de prudence forte. « Les bloqueurs de puberté peuvent être proposés à partir du stade 2 de Tanner, après une évaluation interdisciplinaire approfondie. Le traitement hormonal d’affirmation de genre n’est pas initié avant l’âge de 16 ans, et seulement dans des cas exceptionnels où il existe une expérience durable d’incongruence de genre et une situation psychosociale très stable. ». Les auteur·ices ne parlent donc là encore jamais d’interdiction ; mais soulignent que l’évaluation interdisciplinaire approfondie reste la clé d’un accès possible aux traitements. Au total, les mineur·es sont donc légalement libres de s’identifier, mais médicalement plutôt restreint·es dans leur accès aux traitements, ce qui crée, comme en Suède, un décalage entre les textes juridiques et l’appréciation clinique.
Au Danemark, dans le domaine médical, les auteur·ices notent que « les dernières années ont vu l’introduction de directives plus restrictives, incluant des périodes d’évaluation prolongées et des exigences plus strictes pour la validation multidisciplinaire ». Néanmoins, les soins demeurent disponibles et financés : « Au début de la puberté (stade 2 de Tanner), des bloqueurs de puberté peuvent être initiés après une évaluation approfondie et multidisciplinaire. À partir de 15 ans, un traitement hormonal d’affirmation de genre peut être commencé afin de soutenir le développement du genre souhaité ». Sur le plan légal toutefois, et ce depuis 2014, « les individus de 18 ans et plus peuvent changer leur genre légal sans diagnostic psychiatrique », et « avec le consentement parental, cette possibilité s’étend à partir de 15 ans », là encore sans nécessité diagnostique. Ce paradoxe danois rejoint donc celui observé en Suède et en Norvège.
À rebours de ces pays nordiques, l’Islande fait la démonstration d’une grande cohérence législative et clinique. La « loi d’autonomie de genre » de 2019 a instauré un modèle fondé sur le consentement informé, où « les individus âgés de 15 ans et plus ont le droit de changer leur mention de sexe dans les registres officiels, sur la base de leur identité de genre personnelle ». Les mineur·es de moins de 15 ans peuvent aussi le faire, « avec le consentement des parents ou l’approbation d’un comité d’experts ». Sur le plan médical aussi, le pays « applique un modèle de consentement éclairé pour l’accès aux soins d’affirmation de genre », « l’évaluation psychologique peut être incluse, mais seulement avec le consentement de l’individu ». Ce système repose sur la confiance dans la parole des personnes et rompt avec les modèles psychiatrisants de ses voisins.
Cette philosophie du soin islandaise s’illustre aussi dans l’organisation pratique : « les personnes [mineures] demandant un traitement sont d’abord vues par un·e travailleur·se social·e, qui peut les orienter vers des soins d’affirmation de genre. » Les endocrinologues pédiatriques peuvent prescrire les soins dès le premier stade pubertaire (« Tanner 2 »), « avec le consentement éclairé de l’individu et de ses parents ». Le soutien psychologique reste facultatif : « il est disponible mais non obligatoire, et n’est proposé que si la personne en exprime le souhait ou si des préoccupations apparaissent ».
Gran et ses collègues soulignent aussi que le modèle islandais ne signifie pas l’absence d’encadrement, mais une redistribution des rôles. Les psychiatres cessent d’endosser le rôle de gatekeeper (contrôleur), le diagnostic psychiatrique n’étant plus exigé depuis la dépsychopathologisation des transidentités par l’Organisation Mondiale de la Santé (effective en 2022), qui « a déplacé les conditions liées à l’incongruence de genre hors du champ des troubles mentaux, afin de déstigmatiser et d’améliorer l’accès aux soins ». Le médecin devient un accompagnant de parcours, non un juge de légitimité. Ce déplacement – de la pathologie vers l’autonomie – est emblématique d’une médecine moderne fondée sur les droits humains, comme le conçoit d’ailleurs Trajectoires Jeunes Trans dans sa charte éthique.
Malgré des progrès légaux notables pour les mineur·es trans, qui placent la France en retrait par rapport aux pays nordiques (Finlande exceptée), la conciliation entre autodétermination et prudence médicale reste un défi majeur. L’Islande représente, pour les adolescent·es trans, une synthèse rare entre ces deux impératifs : un système fondé sur le consentement éclairé, l’accès équitable et la dépsychiatrisation du parcours. Pour Gran et ses collègues, « les futures priorités doivent viser à réduire les temps d’attente, à renforcer la recherche et à développer des modèles de soins inclusifs ». Leur article montre que la région nordique ne suit pas une logique d’interdiction, mais de réévaluation permanente. Malgré les révisions récentes, les soins d’affirmation de genre pour les jeunes restent accessibles, sous conditions d’une évaluation individualisée et d’un consentement éclairé.

Figure 1 : Quels pays de l’UE rendent accessibles aux mineur·es trans les bloqueurs de puberté ? (Source : Transgender Europe, 2024)
Pour conclure, on peut noter qu’au-delà des pays nordiques, dans l’Union Européenne, la norme n’est pas d’interdire les soins aux mineur·es trans, mais va plutôt dans le sens d’une plus grande accessibilité, surtout en Europe occidentale, comme en atteste par exemple la carte de Transgender Europe sur l’accès aux soins des inhibiteurs de puberté (Figure 1). La reconnaissance légale du genre pour les mineur·es est également effective dans un nombre croissant de pays européens (Figure 2) : outre ceux déjà évoqués (Danemark, Suède, Norvège, Islande), on compte parmi eux la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, l’Estonie, la Slovénie, la Croatie, la Grèce et Malte. À quand la France ?

Figure 2 : Reconnaissance légale du genre pour les mineur·es. La Suède en fait partie aussi depuis juillet 2025. (Source : Transgender Europe, 2025)
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