Une étude, parue dans la revue Developmental Cognitive Neuroscience, signée par des psychologues, psychiatres, et neuroscientifiques de l’Université de Pittsburgh aux Etats-Unis, fait état des connaissances neurodéveloppementales à l’adolescence, et précisent dans quelles circonstances les adolescent·es peuvent décider d’obtenir des soins d’affirmation de genre. En effet, on retrouve souvent à l’appui des législations interdisant l’accès aux soins affirmateurs de genre des études neuroscientifiques indiquant une maturité du cortex préfrontal qui serait atteinte à l’âge adulte, ce qui devrait interdire toute prise de décision importante avant cet âge. Le problème que soulèvent les auteur·ices est que ces études ne tiennent pas compte du contexte des prises de décision médicales relatives à l’affirmation de genre.
Contrôle cognitif à l’adolescence
La compréhension actuelle du domaine sur le développement neurocognitif des adolescent·es indique que les adolescent·es peuvent prendre des décisions orientées vers des objectifs au même niveau que des adultes, y compris celles ayant des conséquences à long terme, à condition d’avoir le contexte approprié, ce qui inclut le soutien des adultes, des échelles de temps plus longues et les informations nécessaires pour évaluer les résultats. Plus précisément, des résultats en laboratoire évaluant le contrôle cognitif ont montré qu’à l’adolescence, les systèmes préfrontaux peuvent être sollicités de manière similaire à celle des adultes, à un rythme toutefois plus lent, et avec une plus grande variabilité.
L’adolescence est marquée par l’augmentation de comportements impulsifs, axés sur la récompense et la recherche de sensations, pouvant mener à des prises de décisions risquées, exacerbées en présence de pairs (conduites à risques, abus de substances, etc.). Ces prises de risques sont associées à une maturation asynchrone des systèmes de récompense striataux et des systèmes préfrontaux exécutifs.
Ces comportements impulsifs et à risques sont plus susceptibles d’avoir lieu dans des contextes décisionnels “chauds”, c’est-à-dire lorsque la décision à prendre doit se faire dans un laps de temps court ou marquée par une émotion exacerbée. Ces contextes décisionnels “chauds” ne sont néanmoins pas ceux des décisions médicales qui se déroulent sur une période prolongée, sont délibérées, impliquent un soutien adulte, et mobilisent des processus neurocognitifs différents de ceux caractérisés dans les prises de décisions « impulsives”.
Les contextes décisionnels “froids”, par opposition, favorisent une planification plus réfléchie, une délibération et la capacité à réfléchir et à simuler les coûts et les avantages potentiels de leurs décisions, réduisant ainsi le niveau d’incertitude inhérent aux décisions en contextes « chauds ».
Les contextes de décision médicale d’affirmation de genre sont typiquement des contextes “froids”, impliquant des périodes de plusieurs mois voire plusieurs années selon les pays, et engageant des adultes dans la codécision et l’accompagnement, dont des professionnels de santé.
Des preuves suggèrent que les adolescent·es dès l’âge de 12 ans ont la capacité de participer à des décisions médicales dès lors qu’iels peuvent communiquer leur choix, comprendre les informations fournies sur le traitement médical proposé, raisonner (délibérer sur les risques et les bénéfices) et apprécier à la fois les options et les conséquences personnelles de leur décision. Dans l’ensemble, la littérature sur le neurodéveloppement indique que les adolescent·es possèdent la maturité neurocognitive nécessaire pour prendre des décisions à long terme, y compris des décisions concernant les soins d’affirmation de genre, dans les contextes dits « froids » et avec un temps adéquat pour la réflexion et la délibération.
Conséquences développementales de la psychopathologie chez les adolescents trans et non-binaires
Bien que les mécanismes majorant les troubles mentaux à la puberté ne soient pas encore complètement objectivés, le début de la puberté a été systématiquement associé à une augmentation de la psychopathologie, suggérant que la puberté pourrait contribuer à la prévalence accrue des troubles psychiatriques pendant l’adolescence. La dépression et l’anxiété associées aux changements pubertaires sont particulièrement prononcées chez les jeunes trans et non-binaires, pour qui les changements physiques pubertaires (c’est-à-dire, le développement des seins, l’apparition des poils du visage, la raucité de la voix, le début des menstruations) peuvent causer fréquemment une détresse et un mal-être supplémentaires, car leurs corps commencent à paraître et à se sentir plus en inadéquation avec leur identité de genre.
L’émergence des psychopathologies, notamment la dépression et l’anxiété, chez les adolescent·es trans et non-binaires est attribuée, à deux facteurs spécifiques à leur population, en plus des facteurs liés à la puberté : le stress minoritaire de genre et la dysphorie de genre. Le premier fait référence au stress social externe engendré par la stigmatisation, les discriminations, la pénalisation ou la pathologisation de la non-conformité au genre. La seconde est relative à la détresse interne liée aux développements corporels en incongruence avec l’identité de genre. Ces facteurs de stress se traduisent par exemple par une pauvreté deux fois plus importante chez les jeunes trans (1/3 des jeunes trans et non-binaires aux USA sont pauvres, environ autant sont sans domicile fixe) que chez les jeunes cis. Certain·es jeunes vivent la combinaison des deux facteurs : rejet social et mal-être intérieur.
Ces facteurs de stress dans l’adolescence peuvent modifier les trajectoires développementales des systèmes nerveux, réduisant notamment la fenêtre potentielle de plasticité préfrontale adaptative connue pour être critique pour le développement cérébral. Les enjeux liés aux interactions entre l’élévation de cortisol (hormone liée au stress) et les développements hormonaux de la puberté peuvent impacter profondément les trajectoires adolescentes, avec une incidence sur le devenir adulte.
Les soins affirmateurs de genre minorent les risques en santé mentale
Bien que les jeunes trans et non-binaires ont un surrisque de psychopathologie et de stress, les soins affirmateurs de genre semblent réduire ces risques. Les études tendent à démontrer une réduction chez les adolescent·es trans (par rapport aux adultes trans) du risque dépressif et suicidaire de long terme, en lien avec les soins hormonaux d’affirmation de genre, qu’il s’agisse de bloqueurs de puberté ou d’hormones sexuelles.
Pour les auteur·ices, un système de santé efficace pour les jeunes trans et non-binaires cherchant des soins d’affirmation de genre devrait inclure deux composantes clés : d’une part, former les professionnel·les de santé pour qu’iels fournissent des soins bien informés et culturellement compétents aux jeunes trans et non-binaires et d’autre part, évaluer efficacement la capacité de prise de décision des adolescent·es trans et non-binaires, conjointement avec leurs parents et avec l’appui des professionnel·les de santé, pour déterminer leur compréhension des interventions, leurs avantages et risques à court, moyen et long terme, et leur capacité à prendre des décisions médicales par eux-mêmes avec le consentement et le soutien des soignants et des parents.
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