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Pourquoi y a-t-il davantage de jeunes transmasculins dans les consultations pédiatriques de diversité de genre ?

Une étude récente, co-signée par Claire Vandendriessche et David Cohen, de TJT, publiée dans European Child & Adolescent Psychiatry s’intéresse aux facteurs sociaux et structurels qui expliquent la prédominance des personnes assignées filles à la naissance (AFAB) parmi les jeunes transgenres et LGB cisgenres (lesbiennes, gays, bisexuel·les) en Europe. À travers une analyse des données issues de la deuxième vague (2019) de l’enquête EU LGBTI de l’Agence européenne des droits fondamentaux, impliquant plus de 137 000 participant·es sur 30 pays, l’étude examine l’hypothèse controversée de la dysphorie de genre à apparition rapide (ROGD). Cette hypothèse, selon laquelle les médias sociaux favoriseraient une « contagion sociale » menant à une hausse de jeunes transmasculins, expliquant la fréquence de ceux-ci dans les unités pédiatriques d’identité de genre, est confrontée à une exploration plus nuancée des influences sociales.

Les âges de révélation de l’identité : un contraste entre personnes AFAB et AMAB

Les résultats montrent que les jeunes assigné·es garçons à la naissance (AMAB), qu’iels soient cisgenres ou transgenres, partagent leur identité LGBT (coming out) plus tard que les jeunes assignés filles à la naissance, à âge d’auto-perception LGBT égal (coming in). Cette disparité est observée dans chacun des 30 pays européens analysés. Les chercheur·ses expliquent cette différence par des coûts sociaux qui pénaliseraient davantage les jeunes AMAB qui transgressent les stéréotypes cishétérosexistes associés à la masculinité, comparés à la transgression des stéréotypes liés à la féminité chez les jeunes AFAB. Ainsi, si la plupart des unités pédiatriques d’identité de genre rapportent une plus grande fréquence d’adolescents transmasculins que d’adolescentes transféminines, ce serait en lien avec la transmisogynie, qui réduit la capacité des jeunes transféminines à révéler leur transidentité avant leur majorité, et donc à accéder à ces services pédiatriques. Par exemple, parmi les personnes s’étant perçu·es comme trans durant leur minorité, les personnes transféminines ont fait leur coming out en moyenne à 23,3 ans, contre 18,8 ans pour les personnes transmasculines. De manière générale, les personnes LGBT AMAB (hommes cis gays ou bisexuels et personnes transféminines) auraient moins de chances d’être pris en charge que les personnes LGBT AFAB (femmes cis lesbiennes ou bisexuelles et personnes transmasculines) dans n’importe quel service dédié aux mineur·es LGBT.

En s’appuyant sur la probabilité de faire un coming out à un âge donné pour une personne se percevant déjà comme LGBT, les chercheur·ses ont pu reconstituer les ratios de sexe anticipés en fonction de l’âge. Iels ont constaté que même en posant l’hypothèse d’égalité des tailles des populations AFAB et AMAB à travers toutes les classes d’âge, le fait que les personnes AMAB fassent leur coming out LGBT tendanciellement plus tardivement que les personnes AFAB implique que les ratios de sexe de personnes se déclarant LGBT soient, en deçà d’un certain âge, dominés par les personnes AFAB. Par exemple, à 17 ans, 61,3 % des personnes qui ont fait leur coming out trans étaient AFAB, tandis que 59,7 % des personnes cis qui ont fait leur coming out LGB étaient AFAB. Une différence minime, qui permet aux chercheur·ses de confirmer que la plus grande fréquence d’adolescents transmasculins dans les unités pédiatriques d’identité de genre est le reflet d’un phénomène d’ampleur plus large, concernant l’ensemble de la communauté LGBT, et qu’il ne s’agit donc pas d’un phénomène trans-spécifique. Par la suite, à des âges plus avancés, les personnes AMAB font leur coming out LGBT, ce qui tend à rééquilibrer les ratios de sexe sur l’ensemble de la population. En témoignent les recensements de population du Canada (2021), ainsi que de l’Angleterre et du Pays de Galles (2021), les seuls pays à avoir dénombré leur population transgenre, qui démontrent un équilibre du ratio de sexe au sein de cette population à travers toutes les classes d’âge (53 % de femmes trans contre 47 % d’hommes trans au Canada ; 50 % de femmes trans et 50 % d’hommes trans en Angleterre et au Pays de Galles).

L’impact des politiques nationales sur l’affirmation d’identité LGBT

Dans chacun des 30 pays d’Europe étudiés, les personnes LGBT AMAB font leur coming out plus tardivement que les personnes LGBT AFAB, à âge de coming in égal. Par exemple, en France, les LGBT assigné·es garçon à la naissance le font en moyenne 1,73 ans après. Le Portugal présente l’écart le plus faible (1 an) et la Bulgarie le plus large (3,4 ans).

L’étude met en lumière l’influence des lois et politiques nationales sur la capacité de partager à son entourage une identité LGBT selon son sexe d’assignation. Les pays avec des politiques défavorables aux droits LGBT, mesurées par l’indice Rainbow d’ILGA-Europe (2019), affichent des écarts d’âges entre personnes de sexe d’assignation différents plus grands. Cela suggère que les coûts sociaux associés à la pénalisation de la transgression des stéréotypes de genre non seulement sont plus grands pour les personnes assignées à la masculinité, mais que ces coûts sont d’autant plus grands que les politiques nationales sont répressives des identités LGBT.

Remise en question des aspects clés de l’hypothèse ROGD

Contrairement aux postulats de l’hypothèse du ROGD, les adolescents transmasculins qui affirment rapidement leur identité (moins d’un an après leur auto-perception) et utilisent fréquemment les réseaux sociaux ne présentent pas une santé mentale ou physique plus mauvaise que les autres. Ce constat contredit l’idée que l’affirmation rapide d’une identité trans à l’adolescence témoignerait d’une psychopathologie sous-jacente.

L’étude souligne que l’hypothèse du ROGD, souvent mobilisée pour justifier des restrictions sur les soins de santé aux jeunes trans, manque de fondements scientifiques robustes. En particulier, les chercheurs·ses critiquent son instrumentalisation dans des contextes politiques, notamment aux États-Unis, où elle a servi de prétexte à des lois restreignant l’accès aux soins pour les mineurs transgenres.

En conclusion, les auteur·ices appellent à une recherche approfondie sur les influences sociales, juridiques et culturelles qui façonnent les trajectoires des jeunes LGBT. Iels invitent à une approche plus globale, intégrant des facteurs tels que le stress minoritaire, les discriminations et les normes sociétales. Ce travail ouvre la voie à des politiques publiques et des pratiques cliniques mieux adaptées aux réalités complexes des jeunes LGBT.

Couverture dans Le Monde

L’étude a été couverte par le journal Le Monde du mercredi 19 mars 2025, disponible pour les abonné·es ici. L’article replace l’étude de TJT dans le contexte de l’offensive anti-trans aux États-Unis, citant notamment un article paru dans le prestigieux New England Journal of Medicine : « deux médecins et un avocat dénoncent les lois répressives et transphobes adoptées aux États-Unis depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, expliquant qu’elles ‘soulignent un effort plus large visant à faire reculer les droits des personnes trans et non binaires’. Or, ‘la recherche a constamment démontré les effets positifs de l’accès aux soins d’affirmation de genre’ sur la santé, et ces soins sont loin d’être ‘expérimentaux’ ou assimilables à une ‘mutilation’ ».

Interrogé par Lilas Pepy, journaliste pour Le Monde, le pédopsychiatre américain Jack Turban s’alarme de perspectives davantage marquées par « la stigmatisation, le harcèlement et la discrimination à l’égard des jeunes transgenres ». Il rappelle ce qu’il a écrit en 2022 dans la revue Pediatrics : « la théorie de la ROGD a été utilisée par les législateurs aux États-Unis pour interdire les soins d’affirmation de genre aux adolescents trans, en dépit du ‘soutien sans équivoque’ de grandes organisations médicales à ces soins. » L’autrice de cette théorie, Lisa Littman, laisse entendre que la « contagion sociale » par les réseaux sociaux toucherait principalement les jeunes AFAB : « l’image dégradée de la femme véhiculée sur les réseaux sociaux les plongerait dans un profond désarroi, dont elles sortiraient en transitionnant vers le genre masculin. » À l’appui de cette croyance, l’évolution du ratio de sexe chez les jeunes au cours des deux dernières décennies montre une augmentation des jeunes transmasculins.

C’est cette question de recherche qui a motivé Claire Vandendriessche et David Cohen à étudier, sur une très vaste base de données de personnes LGBT, les différences d’âge de coming out entre les personnes transféminines et les personnes transmasculines, à âge de coming in égal. Claire Vandendriessche résume un de leurs résultats principaux dans l’article du Monde : « Ce que l’on démontre, ce n’est pas tant la prépondérance de jeunes personnes transmasculines dans les cliniques pédiatriques ou dans la population générale qu’une absence de jeunes personnes transféminines qui demeurent dans le placard. » Pour Annelou De Vries, pédopsychiatre néerlandaise interrogée par Le Monde, « ces résultats apportent un ‘autre son de cloche’ important par rapport aux critiques et aux doutes à l’égard des jeunes trans que nous entendons. »

Accéder à l’article du Monde en cliquant ici (abonné·es)
Accéder à l’étude complète de TJT en accès libre ici (en anglais)

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