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Comment l’idée de « contagion sociale » a façonné la médecine trans-spécifique

Dans un article publié par la prestigieuse revue The New England Journal of Medicine, Ketil Slagstad explore comment le concept de « contagion sociale » a influencé la médecine trans-spécifique, en étudiant les réponses des sociétés à l’augmentation de la visibilité et des demandes de reconnaissance des personnes trans. Depuis quelques années, la montée en puissance de ce phénomène a conduit certain·es politicien·nes, activistes et professionnel·les de santé à comparer la transidentité à une « épidémie ». Slagstad montre que cette analogie est construite pour restreindre les droits et l’accès aux soins des jeunes trans, notamment dans des lois récentes limitant l’accès aux traitements hormonaux aux États-Unis et au Royaume-Uni, reflétant une politisation accrue de la médecine trans-spécifique.

L’auteur souligne que cette dynamique repose en grande partie sur une rhétorique de protection de « l’enfant vulnérable », et dénonce la tendance à décrire les jeunes trans comme des victimes d’une mode propagée par les réseaux sociaux. Par exemple, la théorie controversée de la dysphorie de genre d’apparition rapide (ROGD) de Lisa Littman prétend que l’identité trans serait causée par des influences sociales. Bien que les méthodes de cette étude aient été critiquées, cette notion a néanmoins influencé la politique publique, comme en France où l’Académie nationale de médecine a émis des avertissements contre une supposée « contagion sociale » trans comme le note Slagstad.

Dans un contexte historique, l’auteur montre que ce n’est pas la première fois que la médecine a associé des minorités sexuelles ou de genre à une contagion sociale. Il rappelle que, dès le début du 20e siècle, les théoriciens psychiatriques ont pathologisé des groupes minoritaires, souvent au nom de la protection des enfants. La controverse sur l’homosexualité et la soi-disant « épidémie d’inversion » dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres illustre comment les autorités médicales ont pu faire de la sexualité un enjeu politique et social, influençant ainsi la perception publique et les lois.

Slagstad aborde également la question de la visibilité médiatique des personnes trans, en soulignant son importance dans la construction de l’identité trans moderne. Des figures comme Lili Elbe et Christine Jorgensen ont, par leurs histoires relayées dans la presse, non seulement inspiré d’autres personnes trans mais aussi attiré la critique de la part des autorités qui, préoccupées par une éventuelle « contagion », ont réagi par des restrictions. Cela montre comment les médias et la visibilité publique peuvent à la fois autonomiser les minorités tout en suscitant des réponses répressives.

En France, le médecin Jean Vague, auteur d’un article intitulé « Le désir de changer de sexe : forme épidémique actuelle d’un mal ancien » (1956), considérait que le progrès vers l’égalité des genres et l’attention médiatique contribuaient à la montée de cette « épidémie », perçue comme un symptôme de la modernité. Cette perspective lie la question des transitions médicales à une inquiétude sociale plus large autour de la dissolution des valeurs traditionnelles et des rôles de genre.

L’idée de « contagion sociale » a été exploitée dans ces années 1950-60 pour justifier la mise en place de critères médicaux stricts encadrant l’accès aux traitements pour les personnes trans. Slagstad évoque ainsi les médecins et psychiatres qui, par des critères d’admissibilité rigides, excluaient de nombreux·ses candidat·es à la transition médicale, rendant difficile l’accès aux soins. Ce cadre diagnostique a encouragé les patient·es à se conformer à une définition restrictive de la transidentité, renforçant une vision binaire des genres et limitant l’expression des identités non conformes au genre.

Une certaine critique féministe radicale, qui a émergé dans les années 1970 et 1980, a joué un rôle dans l’évolution des perceptions de la médecine trans-spécifique. Des figures comme Janice Raymond ont fait valoir que les demandes de transition étaient le fruit du patriarcat et que le recours à la transition médicale reproduisait des normes de genre stéréotypées. Cette perspective, bien qu’opposée aux théories médicales antérieures, participait également à dévaloriser l’expérience trans en la réduisant à une réaction à des normes sociales rigides.

Slagstad souligne que l’attention accrue portée aux adolescent·es trans depuis les années 1990, avec l’introduction de bloqueurs de puberté, a renforcé la politisation autour de la médecine trans-spécifique. Mais cette pratique est aujourd’hui tellement entremêlée au débat politique sur les droits des personnes trans qu’elle limiterait les possibilités de discussion sur les effets à long terme de ces traitements et sur la capacité des jeunes à prendre des décisions médicales éclairées. Il appelle ainsi à des pratiques médicales à la fois attentives des bienfaits et méfaits potentiels et aussi respectant la subjectivité des jeunes trans.

Il invite également à reconnaître les erreurs du passé et à éviter de limiter l’accès à l’information sur la transidentité au nom d’une prétendue « contagion sociale ». Selon lui, la hausse des demandes de transition médicale aujourd’hui est largement due à une meilleure disponibilité des informations et non à un phénomène d’imitation sociale. Réprimer ces informations, comme cela a été fait pour d’autres minorités, ne fait qu’accroître la marginalisation.

Enfin, l’auteur conclut que le recours à la métaphore de l’épidémie reflète une tentative de la médecine de transférer la responsabilité des demandes de transition au politique, en cadrant la question comme une crise sociale plutôt qu’un besoin individuel de soins. Pour lui, cette approche permet d’éviter des discussions cruciales sur les moyens d’accompagner les personnes trans de manière personnalisée et de répondre à leurs besoins médicaux spécifiques dans un cadre respectueux.

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