Nous vous en parlions l’an dernier, en résumé de la conférence de la WPATH à Lisbonne : l’étude de la Dre van der Meulen et de ses collègues sur la satisfaction sexuelle et les dysfonctions sexuelles des adultes trans traité·es par bloqueurs de puberté à l’adolescence est désormais publiée dans la revue Journal of Sexual Medicine.
Dans une approche rigoureuse, les auteur·ices se sont penché·es sur les effets à long terme de cette intervention, appliquée dès les premiers stades de la puberté, en la comparant à une initiation plus tardive et aux données issues de cohortes ayant commencé leur parcours médical à l’âge adulte. En recrutant 70 participant·es suivi·es depuis plus de 14 ans en moyenne, cette étude représente l’un des suivis longitudinaux les plus étendus dans le domaine des soins affirmatifs de genre.
Les résultats montrent que 52 % des personnes transmasculines et 40 % des personnes transféminines rapportent une satisfaction sexuelle élevée, des chiffres comparables à ceux observés dans la population cisgenre générale. Malgré certaines différences individuelles, les données ne révèlent pas de disparité significative entre les groupes ayant entamé le traitement hormonal à un stade précoce ou tardif de la puberté. Ces constats contredisent certaines hypothèses préalables selon lesquelles l’absence de puberté endogène complète pourrait nuire à la fonction sexuelle adulte, notamment au niveau du désir, de l’excitation ou de la capacité à atteindre l’orgasme.
L’étude met également en lumière une prévalence non négligeable de dysfonctions sexuelles dans les deux groupes : 58 % des personnes transmasculines et 50 % des personnes transféminines ont déclaré au moins une difficulté sexuelle associée à une détresse. Chez les personnes transmasculines, la difficulté la plus fréquente est l’initiation de contacts sexuels (34 %), tandis que chez les transféminines, c’est la difficulté à atteindre l’orgasme (35 %). Ces troubles apparaissent dans des proportions similaires à celles relevées chez les personnes trans ayant commencé leur traitement à l’âge adulte, suggérant que le blocage pubertaire n’aggrave pas les troubles sexuels.
Au-delà des chiffres, les témoignages qualitatifs recueillis donnent une profondeur humaine aux données statistiques. Certain·es participant·es évoquent une insatisfaction concernant les résultats fonctionnels ou esthétiques de leur chirurgie génitale, un manque de confiance en leur image corporelle ou encore des difficultés à trouver des partenaires ouvert·es à une sexualité avec une personne trans. D’autres expriment un sentiment de différence persistante qui entrave la spontanéité dans leurs relations intimes. Ces récits soulignent l’importance de ne pas dissocier les dimensions physiques, psychologiques et sociales de la sexualité dans l’accompagnement des personnes trans.
Sur le plan de l’activité sexuelle, 72 % des hommes trans rapportent une activité sexuelle régulière (plus d’une fois par mois), contre 40 % des femmes trans. Ces taux, bien qu’inférieurs à ceux de la population générale pour les transféminines, s’alignent globalement avec les données observées chez d’autres populations trans traitées à l’âge adulte. Par ailleurs, l’importance accordée à la sexualité reste marquée, en particulier chez les personnes transmasculines (92 % la jugent modérément ou très importante), ce qui dépasse les taux relevés dans la population générale.
Les auteur·ices soulignent que la sexualité ne se résume pas à la performance fonctionnelle : la satisfaction sexuelle dépend aussi de facteurs comme la santé mentale, l’image corporelle, les attentes relationnelles, ou la qualité du soutien médical et social reçu. En effet, la faible fréquence de certaines dysfonctions dans le groupe ayant reçu un traitement hormonal précoce pourrait être attribuée à une meilleure santé mentale et à une plus grande satisfaction corporelle résultant d’une transition débutée tôt et vécue de manière plus fluide.
En termes de méthodologie, l’étude se distingue par l’utilisation d’un questionnaire hybride comprenant des outils validés et des questions développées spécifiquement pour cette population. L’analyse repose principalement sur des statistiques descriptives, étant donné la taille réduite de certains sous-groupes, notamment celui des personnes transféminines ayant débuté le traitement précocement. Malgré cette limite, l’étude offre une base de connaissances solide et exploitable pour la pratique clinique.
Enfin, les auteurs insistent sur la nécessité d’intégrer la sexualité dans les soins médicaux d’affirmation de genre. Il ne s’agit pas seulement de rassurer sur les effets des traitements hormonaux, mais aussi d’anticiper les difficultés relationnelles ou psychologiques susceptibles de freiner l’épanouissement sexuel. Des interventions ciblées, telles que le soutien psychosexuel, pourraient améliorer significativement la qualité de vie des personnes concernées, indépendamment du stade auquel elles ont commencé leur transition médicale.
Cette étude plaide pour une vision nuancée et individualisée des parcours de transition. Elle démontre que le blocage pubertaire, loin d’entraver systématiquement la fonction ou la satisfaction sexuelle, peut coexister avec une vie intime épanouissante, à condition que les soins soient globaux, sensibles à l’identité de genre, et centrés sur la personne. Les auteur·ices appellent à des recherches supplémentaires axées sur le plaisir sexuel, l’intimité et la diversité des expériences, afin d’élargir la compréhension de la sexualité trans et de nourrir des approches cliniques inclusives et fondées sur des données probantes.
Pour lire l’étude en anglais, cliquer ici.
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