La Haute Autorité de santé (HAS) publie aujourd’hui des recommandations de bonnes pratiques cliniques à l’égard des adultes trans, élaborées à la demande du ministère de la Santé. Il s’agit d’une avancée majeure dans la reconnaissance du droit à l’autodétermination, à des soins respectueux, accessibles et fondés sur des données actualisées.
L’autodétermination reconnue
Rompant avec une approche historiquement pathologisante, ces recommandations se distinguent d’emblée par leur volonté affirmée de dépsychiatriser les parcours de transition, en cohérence avec la reclassification dans le champ de la santé sexuelle de l’incongruence de genre par l’OMS en 2018 (CIM-11). La HAS souligne que l’identité trans ne relève pas d’un trouble mental, dès lors, l’évaluation psychiatrique n’est plus posée comme préalable ou condition à l’accès aux soins de transition. Cette mesure vise à mettre fin à des pratiques humiliantes ou dissuasives vécues par de nombreuses personnes trans.
Autre innovation essentielle : l’inscription du principe d’autodétermination comme fondement de l’accompagnement médical. Toute personne peut s’autodéterminer comme trans sans avoir à subir un examen de validation de son identité de genre. Ce changement de paradigme place la personne trans comme actrice de son parcours, et non comme objet d’un protocole normatif. Les soignant·es deviennent des partenaires et non plus des juges. Il s’agit là d’un repositionnement éthique et clinique de première importance.
Le document met également fin à une vision binaire et uniforme des parcours, en reconnaissant officiellement leur diversité. Les recommandations incluent les hommes et femmes trans, les personnes non-binaires, gender fluid ou en questionnement, et affirment que chaque parcours est singulier, médicalisé ou non, avec ou sans recours à la chirurgie ou aux soins hormonaux. Cette souplesse rend possible une prise en charge adaptée aux besoins et attentes de chacun·e.
Le langage utilisé est lui-même un signal fort d’évolution. La HAS recommande d’adopter le terme « personne trans » comme terme parapluie non pathologisant, et de ne plus employer des expressions désormais considérées comme stigmatisantes ou imprécises telles que « transsexualisme », « homme/femme biologique » ou « trouble de l’identité de genre ». Ces orientations lexicales, appuyées par les travaux de la WPATH et les retours d’expérience communautaires, contribuent à instaurer une culture médicale plus respectueuse.
La médecine générale au centre du parcours
Un des mouvements essentiels de ces recommandations a été de positionner la médecine générale au centre du parcours. Au-delà de l’accueil de la demande, les médecins généralistes doivent aussi pouvoir primo-prescrire des hormones d’affirmation de genre, sans obligation de passage par un·e psychiatre, une équipe hospitalière, ou la validation par une réunion de concertation pluridisciplinaire. Cela représente un bouleversement majeur dans l’accès aux soins, en permettant aux personnes trans d’initier leur transition dans un cadre de proximité, avec des professionnel·les formé·es.
Historiquement, le système français était marqué par des circuits hospitalo-centrés, spécialisés, longs, cloisonnés, parfois vécus comme arbitraires. À l’inverse, la HAS propose un parcours fluide, coordonné par la médecine de ville, ancré dans les soins de premier recours, articulé avec les spécialistes (généralistes, endocrinologues, chirurgien·nes, gynécologues, etc.) mobilisables en fonction des besoins, et non de manière systématique.
La nouveauté réside également dans l’encadrement clair et actualisé des prescriptions hormonales, aussi bien pour les personnes transféminines que transmasculines. Les schémas thérapeutiques sont décrits de manière détaillée, en intégrant les effets attendus, risques et modalités de suivi. La fertilité est systématiquement abordée en amont, avec la possibilité de recours à la conservation de gamètes avant tout traitement médical aux effets potentiellement durables.
Une approche non-discriminante
Sur le plan chirurgical, la HAS établit des lignes directrices pour les opérations d’affirmation de genre, qu’elles soient génitales, thoraciques, vocales ou faciales. Les critères d’éligibilité sont alignés à ceux demandés pour les mêmes actes chirurgicaux pour les personnes cis (réduction ou augmentation mammaire, par exemple), c’est à dire centrés sur l’information complète et le consentement, et non sur des examens psychiatriques ou médicaux de validation.
Cependant, en amont de tout soin hormonal ou chirurgical, un “délai de réflexion raisonnable et proportionné” est recommandé, ce qui ne manquera pas de susciter des différences interprétatives. À titre de comparaison, les “délais de réflexion” imposés par la loi en médecine esthétique sont de 15 jours. Il semble dès lors difficilement justifiable d’un point de vue médical et juridique que les praticien·nes dépassent un tel délai, en particulier lorsque l’intérêt en santé est évident.
Un cadre social renforcé
Le volet psychologique, loin de réintroduire un filtre pathologisant, est présenté comme un soutien tout au long du parcours, au service du bien-être de la personne, et lorsque celle-ci en éprouve le besoin. Le dépistage d’éventuels troubles psychiatriques est recommandé, mais “le recours à un professionnel de santé mentale ne doit pas entraîner un délai de prise en charge supplémentaire”. L’accompagnement psychothérapeutique peut être proposé, jamais imposé.
Les recommandations reconnaissent explicitement la surexposition des personnes trans aux violences, aux discriminations, à la précarité et à la marginalisation, et appellent à une vigilance renforcée sur ces facteurs sociaux. La HAS insiste sur le rôle actif des professionnel·les pour dépister les violences, orienter vers des ressources adaptées, et travailler avec les acteur·ices du tissu associatif et social pour un accompagnement global de la santé, au-delà du seul champ médical.
Le document consacre également un espace à la fluidité des parcours, en intégrant les réalités de détransition, de réajustement identitaire ou de changement de trajectoire. Loin de les stigmatiser, ces expériences, bien que rares, sont intégrées comme des variations possibles d’un cheminement personnel, et ne remettent pas en cause la légitimité des démarches initiales. Ce regard nouveau dédramatise les détransitions et favorise la sécurité des personnes par une prise en compte adaptée de ces évolutions de parcours.
Un autre aspect novateur est la reconnaissance du rôle crucial des associations trans dans l’accès aux soins, l’information, le soutien psychologique, la médiation avec les institutions et la lutte contre les discriminations. La HAS recommande de structurer la collaboration entre les soignant·es et les structures communautaires dans une logique de complémentarité, d’ancrage territorial et de participation des usager·ères à l’amélioration continue du système de santé.
Des pistes pour les pouvoirs publics
En préambule des recommandations, le groupe de travail attire l’attention des pouvoirs publics et de l’Assurance Maladie sur la nécessité d’adapter “la réglementation de la prescription, de la dispensation, et de la prise en charge des médicaments”, pour s’assurer de la prise en charge à 100 % des soins de transition, avec ou sans autorisation de mise sur le marché.
Le groupe de travail appelle à une réforme profonde de la formation des professionnel·les de santé. Il préconise “le renforcement de la formation initiale et continue des professionnels accompagnant des personnes trans en intégrant les personnes concernées dans l’élaboration des contenus de formation”. Il s’agit là d’un levier central pour mettre fin aux inégalités d’accès aux soins et aux discriminations médicales encore trop fréquentes. Sans attendre de tels programmes de formation, les soignant·es sont appelé·es à monter en compétence afin d’assurer une prise en charge effective.
Des recommandations à venir pour les personnes trans mineures
Il est toutefois notable que les recommandations de la HAS ne concernent au final que les adultes trans, mettant totalement de côté pour l’instant les soins dédiés aux mineur·es, et alors même que la note de cadrage de 2022 prévoyait des recommandations pour les 16 ans et plus.
En conférence de presse, ce vendredi 18 juillet 2025, la HAS est revenue sur ce découpage de recommandations autour de l’âge-seuil de 16 ans, en mettant à son agenda de 2026 le démarrage des travaux pour les moins de 18 ans. Les équipes de TJT se rendront bien sûr disponibles pour œuvrer dans le groupe de travail de ces futures recommandations, essentielles pour l’amélioration de la santé, de l’autonomie et du bien-être des jeunes trans et en exploration de genre.
TJT invite les professionnel·les de santé à continuer à prendre en charge les personnes trans mineures comme elles le font actuellement. Le cadre légal actuel permet une liberté de prescription aux médecins, encadrée notamment par les données acquises de la science. Le dernier consensus médical international – et à ce jour le plus actualisé – celui de l’AWMF (2025), suit largement les recommandations de la WPATH (2022), et reconnaît les bienfaits des soins d’affirmation de genre auprès des adolescent·es trans qui en expriment le besoin. L’absence – pour le moins temporaire – de recommandations de la HAS sur les soins aux mineur·es, ne remet donc pas en question la pertinence de ces soins.
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En articulant une vision respectueuse des droits humains, des standards scientifiques internationaux et des réalités vécues par les personnes trans, la HAS opère une refonte majeure du cadre médical français. Ces recommandations appellent à un changement systémique, profond, que l’ensemble des acteur·ices du système de santé doivent mettre en œuvre. Elles leur offrent des repères clairs pour garantir un accès égalitaire, digne et éclairé aux soins de transition.

